mercredi 5 mars 2014

Entretien avec François Bourdoncle (membre de la Commission Lauvergeon et co-chef de filière Big Data de la Nouvelle France Industrielle)


L’enjeu de la structuration de l’écosystème français Big Data par François Bourdoncle

Propos recueillis par Matthias Fille, ICT Advisor chez CCI Paris IdF

François Bourdoncle est le cofondateur et actuel Directeur Technique d'Exalead, aujourd'hui filiale de Dassault Systèmes. Il est membre de la Commission Lauvergeon "Innovation 2030"[1] qui a remis son rapport à François Hollande en octobre dernier : "Un principe et sept ambitions pour l'innovation"[2].   François est également co-pilote (avec Paul Hermelin, PDG de Capgemini) du plan d’action Big Data, qui compte parmi les 34 grands projets de la "Nouvelle France industrielle" du Ministère du Redressement Productif. François nous partage sa vision du Big Data, les risques encourus à vouloir nier cette révolution numérique. Il dresse également les pistes pour favoriser l’émergence d’un écosystème vertueux autour des Big Data en France.

Nous avons dépassé le simple prisme technologique du Big Data. S’attarder sur la primauté technologique est une illusion, c’est désormais un enjeu de business transformation. En effet, il ne faut pas appréhender le Big Data par sa définition opérationnelle ou sous l’ornière technologique, mais par ses impacts et les effets cela va produire. Cela va ainsi exclure la vacuité de certains débats ambiants. Le centre de gravité du débat ne sera plus axé sur la masse de données (à partir de quelle masse de données peut-on considérer qu’on fait du Big Data ?) ou sur les enjeux techniques d’optimisation organisationnelle. Il faut s’attarder sur d’autres phénomènes : enjeux de conception produits, de business transformation, nouveaux modèles d’affaires, d’organisation client et de gamme de produits. Sur la phase de développement des infrastructures et des solutions technologiques sous-jacentes, le terrain est balisé. Les dés sont déjà lancés, que le meilleur gagne ! Donc, la bataille n’est plus sur l’infrastructure, mais bien sur les usages, sur le développement de nouveaux modèles économiques et les déclinaisons verticales. En matière de Big Data, il faut passer du « comment » au « quoi » et au « pour quoi ».
Par exemple, la vraie création de valeur réside dans des boîtes comme Withings ou Criteo, car elles reposent sur  un business model complètement intégré verticalement, qui créent, captent, analysent, valorisent et monétisent de la data. Pour faire de l'innovation intelligente, il faut placer au même endroit les données qu'on fabrique et celles qu'on recueille. On voit par ses exemples que la France a l’opportunité de se frayer un chemin sur l’échiquier mondial des usages.  Là où tout n’est finalement pas encore bien défini. 
Mais l’Hexagone doit composer avec son marché, qui n’a pas la taille d’un marché US, ni la même capacité d’investissement.

Donc, en tant que chefs de file de ce « chantier » avec Paul, nous avons identifié les leviers que les pouvoirs publics peuvent actionner pour favoriser l’émergence d’un écosystème français vertueux du Big Data, exportateur et créateur d’emplois. C’est donc avant tout un objectif économique, académique et industriel. Nous voulons rendre le terrain français fertile pour l’ensemble de cet écosystème en changeant le « PH de l’aquarium ». Sur le mode opératoire, l’ambition de nos travaux n’est pas de bâtir une nouvelle filière industrielle au sens classique du terme, comme c'est le cas par exemple pour le plan "Avion électrique". En effet, le Big Data est en réalité plus un écosystème qu’une filière au sens traditionnel du terme, car elle n’a pas vocation à déboucher sur un produit industriel précis. Les Big Data sont quelque chose de beaucoup plus écosystémique et horizontal, parce que cela irrigue tous les secteurs.

En effet, le Big Data est un enjeu critique pour tous les secteurs de l’industrie et des services, notamment ceux qui n’ont pas été encore fortement impactés par la révolution numérique. Il ne faut pas que nos grands groupes ignorent cette révolution numérique, comme cela a été le cas pour le commerce de proximité, la presse, l’industrie du disque, ou très bientôt la télévision et le cinéma. Car le Big Data va être le moyen par lequel la révolution numérique va s’inviter sur des secteurs qui n’étaient pas irrigués à ce jour. Ainsi, il faut éviter que ne se reproduise cet aveuglement que ces secteurs ont connu. Sur ces secteurs, les acteurs n’ont pas voulu appréhender cette révolution numérique jusqu’à ce que cela devienne irréversible. Donc, il faut éviter ce déni de réalité, qui est une forme de défense extrêmement dangereuse. Il faut éviter le « jusque-là tout va bien ».
Car à vouloir refuser de se challenger sur son propre business model, de nombreux acteurs courent le risque de la désintermédiation par des pure players de la data comme le GAFA[3], IBM ou LinkedIn. Ceux que j’appelle les « barbares modernes[4] »

En effet, le succès de l’innovation orientée grand public de ces 15 dernières années (Internet, moteurs de recherche, téléphonie mobile, réseaux sociaux, etc.) leur confèrent un accès direct au grand public et à ses données. Cette connaissance de la relation clientèle est leur outil pour se positionner dans tous les domaines. Comme le démontre l’actualité récente[5], ces spécialistes de la data regardent les déclinaisons possibles dans d’autres secteurs traditionnels, fortement « challengeables » sur leur business model. Ainsi, le risque pour les grands groupes établis est lié à la menace que ces « barbares » utilisent cet actif pour aller partout où il y a de l'inefficacité dans la relation clients.
Par exemple dans l'assurance, la santé, le crédit, le marché de l’électricité, les opérateurs de télécommunications etc.

Illustration dans le domaine de l’assurance. Avec Android sur votre terminal, Google dispose de votre géolocalisation et accéléromètre. Il connait votre mode de vie, type de conduite, oisiveté, mobilité, préférences, etc. En mixant ces datas et en faisant travailler leur arsenal algorithmique, ils seront en mesure de vous proposer une offre assurantielle, moins chère, granulaire, extrêmement sophistiquée quant à votre profil de risque. Et ils capteront la valeur des bons clients, les CSP+, ceux dont la probabilité de sinistralité est faible.


Ces nouveaux acteurs réinstaureront dès lors une nouvelle forme d’intermédiation. Et qui dit intermédiation, dit également sous-traitance et érosion des marges. Ces pure players du numérique auront la capacité d’imposer un diktat aux Brick and Mortar (acteurs traditionnels) et de les reléguer à un simple rôle d’opérateurs et prestataires techniques interchangeables. Ces derniers se seront fait confisquer la relation client qui représente la grosse partie de la valeur. Car la majeure partie de la valeur n’est plus captée par celui qui détient la technicité de l'objet industriel, mais par celui qui détient la technicité de l'optimisation de l'objet ou de la relation client grâce aux technologies du Big Data. 

Les entreprises françaises doivent absolument réinventer leurs services clients, où à défaut, les exécuter mieux que les autres. D’autant plus qu’il y a une vraie demande de produits personnalisés dans ces domaines. De surcroît, trop d’industries comme le crédit, l’assurance et la finance se sentent protégés car se pensent à la pointe avec leurs outils informatisés. C’est illusoire. L’informatique pur n’y est qu’un outil de production et de productivité, il n’a pas d’impact sur le business model et sur la transformation du business. A cet égard, le capitalisme français a un problème: il est beaucoup trop dans l'entre-soi et la courtoisie. Plutôt que d’encaisser de front cette 3ème révolution numérique, il faut anticiper sa dynamique et ses enjeux de business transformation. Cette ouverture culturelle et l’acceptation de la compréhension de la désintermédiation numérique sont critiques pour changer leur logiciel de pensée.

Donc, l’une des priorités est d’inciter les grandes entreprises françaises, aujourd’hui en retard sur leurs homologues américaines, à lancer des projets à grande échelle d’exploitation des données massives à des fins de business. Pour ce faire, dans le cadre de notre chantier, nous travaillons sur plusieurs pistes avec les grands groupes. Premièrement, annihiler justement ce déni de réalité et évangéliser. Et également valoriser l’innovation ouverte. Pour les grands groupes, il est aujourd’hui absolument vital de collaborer travailler avec des start-up.
Parce que, jusqu'à présent, il faut bien reconnaitre que la tendance est plutôt de les racheter pour les tuer avant qu'elles puissent devenir des concurrentes. Nous devons favoriser l’interaction vertueuse du tandem grands groupes (utilisatrices) et start up du Big Data (techno providers). Idéalement, il faudrait que les grands groupes payent trois fois ! Les financer en early stage (capital-risque), les aider à grandir (logique business) et les racheter seulement au moment opportun. Sans cela, ces acteurs en herbe ont peu de chance de grandir, de démonter la scalabilité de leur projet et de trouver les forces de s’attaquer à l’export pour contrer l’étroitesse et l’aversion « culturelle IT » de notre marché intérieur. Donc l’effet de levier de cette mesure est double et convergent pour ces deux typologies d’acteurs.

Autre réflexion connexe. J’ai l’obsession de changer la perception de l’innovation française. Comme chacun sait, la R&D est généreusement financée par de nombreux véhicules de financement publics (FUI, Crédit d’Impôt Recherche, etc.). Il faut s’en féliciter. Mais au regard des investissements publics consentis, l’effet produit y est trop minimal. La R&D est trop peu impactante lors de la mise sur le marché pour changer « les règles du jeu » et créer de la valeur. Au-delà de la dimension exploratoire des projets de R&D, ces PME et startup ne doivent pas oublier qu’il leur faut un marché. D’où notre réflexion de créer un appel d’air et de tirer cet écosystème par l’aval en créant le marché. Notre volonté est donc de stimuler les projets et POC côté demandeurs. Nous serons ainsi confortés sur : l’existence potentielle d’un marché, l’expérimentation à l’échelle de ces projets par les grands groupes, l’aide aux PME et leur besoin de scalabilité de projets. Les PME ont davantage besoin d’un carnet de commande étoffé plutôt que de subventions (côte offre / amont). Cette logique aura un effet de levier maximal : créer le marché plutôt que l’offre, et réduire le time-to-market de nos startup. Par ailleurs, via le récent lancement de la plate-forme TeraLab[6], les entreprises et chercheurs disposeront d’un environnement de recherche et d’expérimentation (briques technologiques, ressources de calcul grande échelle). Et pour ce faire, il est essentiel que cette structure recense les « bonnes volontés » en matière de mise à disposition de données de la part des entreprises.

Par ailleurs, tout comme le logiciel de pensée, notre volet réglementaire doit évoluer. Sur le premier aspect, il faut permettre aux usages de s’installer, de s’expérimenter. Sur le volet réglementaire, nous pouvons être fiers d'avoir exporté notre modèle de la loi Informatique et Libertés au niveau européen. Mais cette loi a un problème : la finalité initiale de la collecte des données personnelles est gravée dans le marbre, on ne peut pas la faire évoluer lors des utilisations ultérieures. Or les Big Data, ça ne fonctionne pas comme ça, ça bouge. La déferlante va faire craquer cette loi, c'est inévitable. Il faut refondre toute la question du volet législatif en matière de réutilisation des données, afin de faciliter, sans lever toute forme de contrôle, l’usage des données. Il faut ainsi pouvoir expérimenter avant de légiférer et déplacer l’équilibre en faveur de l’innovation. A cet égard, il serait illusoire de croire que de s’interdire le droit d’expérimenter sur l’utilisation innovante des données serait un garde-fou contre les dérives potentielles. 

Ce principe d’audace, d’action et d’expérimentation doit pouvoir rééquilibrer le rapport de force avec notre principe « sacro-saint » de précaution inscrit dans notre constitution. Les usages innovants et disruptifs comportent une part évidente de risque. Donc, avant que la CNIL n’empêche d’expérimenter, nous devons appréhender ces usages, sectoriellement et de manière jurisprudentielle.
Or, actuellement, l’utilisateur des données doit respecter l’usage intentionnel pour lequel les données ont été collectées : la loi doit évoluer dans son principe même. Nous pourrions remplacer le principe d’intentionnalité par celui de réciprocité, de passer d’une logique déclarative à une logique d’adhésion, grâce à la rédaction d’une charte d’adhésion à des valeurs de base,  par secteur, avec sanction si non-respect de la vie privée.

De plus, il faut observer l’évolution des usages et procéder systématiquement à une étude d’impact économique avant de légiférer « défensivement et mécaniquement ». Comme pour le besoin de stabilité fiscale, les entreprises ont besoin de ce gage de sécurité. Sans cela, les entreprises ne pourront pas opérer. Sans ce droit à l’expérimentation, mis en avant par le rapport de la Commission Lauvergeon, il sera très difficile de faire émerger une filière Big Data dans notre pays. C’est de l’action et l’expérimentation que naitront la réflexion et les usages, et non pas l’inverse. Mais comme toute révolution industrielle, l’entrée de notre civilisation dans l’ère du « tout numérique » ne se résume pas à ses risques potentiels, et la crispation légitime sur la protection de la vie privée ne doit pas masquer les fantastiques enjeux économiques et citoyens que représente le traitement intelligent des données massives. 

A ce titre, l’Etat se doit d’être une locomotive d’expérimentation. Comme pour les entreprises, ses enjeux sont tout aussi considérables (gestion des ressources, des infrastructures, de l’énergie, des transports, du marché de l’emploi, des finances publiques, etc).  Il doit aussi montrer l’exemple sur des thèmes comme les data dans la santé avec les données de la CNAM, qui seraient un fabuleux gisement de création de valeur avec de nouvelles applications et une nouvelle façon de concevoir les parcours de soins : passer d’une démarche curative à une logique préventive grâce au suivi et analyse en temps réel. Il en va de même dans l’évaluation et le pilotage des politiques d’action publiques. A l’heure où le niveau de défiance des citoyens vis-à-vis de la classe politique est le plus élevé de l’OCDE, voilà une formidable opportunité de recentrer le citoyen au cœur du débat sociétal et de faire monter d’un cran le niveau d’exigence des citoyens sur l’exécutif central et les collectivités.

En synthèse, je dirai que nous ne sommes donc pas en retard, et nous avons d’autre part de nombreux atouts, comme par exemple des ingénieurs généralistes de haut niveau, formés à l’informatique, aux mathématiques et aux statistiques, et qui sont très largement plébiscités au niveau international, à commencer par la City et Wall Street. Ne serait-il pas plus vertueux de leur permettre de réussir en France en aidant nos entreprises à déployer des projest Big Data à grande échelle, en créant de nouveaux business model, en réinventant la relation client par la donnée? 

Comme je l’ai évoqué, nous avons également la chance d’avoir quelques très belles « success stories »  comme Critéo ou encore Withings qui est l’un des leaders mondiaux de l’Internet des Objets, qui va être l’un des grands pourvoyeurs de données dans le futur. Cet Internet des Objets, justement, qui va complètement révolutionner la manière dont les produits sont conçus et commercialisés, ainsi que la manière dont l’innovation va se nourrir de l’exploitation du suivi des produits en condition opérationnelle. Espérons que les dossiers Big Data prochainement financés dans le cadre du « Concours Mondial de l’Innovation 2030 » puissent accoucher de futures pépites. Mais nous avons actuellement trop peu de champions numériques, ces « modernes ». Donc, j’ai l’ambition aussi de faire entrer les anciens (nos grands groupes) dans l’ère de cette 3ème révolution numérique.



[2] http://www.direccte.gouv.fr/IMG/pdf/LAUVERGEON_1_principe_et_7_ambitions.pdf
[3] GAFA : acronyme pour désigner Google, Amazon, Facebook et Apple
[4] Article interview de Challenges 20-01-2014 « 
[5] Récentes acquisitions de Google dans le domaine de l’assurance et de la maison intelligente connectée ou investissement de 250 million $ sur Uber, compagnie de VTC
[6] Centre de ressources technologiques destiné à des projets de recherche, d’innovation et de prototypage dédiés aux big data, lancé par l’Institut Mines-Télécom et le Groupe des Écoles nationales d’économie et de statistique (GENES)

1 commentaire:

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